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Errances (3) – L’esprit démocratique : combines en commission et répression policière

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Il parait que nous vivons en démocratie. C’est ce qu’on nous apprend à l’école. Athènes y est toujours évoquée sous l’angle de l’impossibilité pratique de la démocratie directe. « Les athéniens étaient quelques milliers, nous sommes des millions, on ne peut pas employer les mêmes procédures démocratiques ! » Ainsi, la démocratie occidentale, de fait représentative et libérale,a substitué l’idéal du gouvernement de tous les citoyens par un rituel politique régulier au cours du quel nous sommes censés sélectionner nos élites. Élections ne veut pas dire autre chose que ce choix des élites. Voilà ce que contient la vulgate.

Cet enchaînement d’arguments fait fi de la réalité athénienne : tous les citoyens ne participaient pas en permanence à la vie publique. Les assemblées du peuple ne rassemblaient pas, à chaque séance, tous les individus mâles d’Athènes, mais les procédures mises en place, notamment le tirage au sort pour des postes à courte durée, faisaient en sorte que tous les citoyens passaient, un jour ou l’autre, par une fonction politique ou juridique. Ce qui maintenait ce système, au-delà de ces formes institutionnelles, c’est une structure idéelle, un esprit démocratique. Tout un chacun était investi du pouvoir de contester qu’il trouvait injustes ou de démontrer qu’un agent de la collectivité était mu d’abord par l’égoïsme et pas par sa vision du bien commun.

Qu’en est-il de cet esprit chez nous ? Peut-on dire, en acceptant temporairement que notre démocratie est avant tout une machinerie libérale et oligarchique, que notre classe politique soit mue par un « esprit démocratique » ? J’en doute… La rentrée des Parlements francophones du pays fournit un exemple assez saisissant du combinisme politicien.

Lors de la séance inaugurale des Parlements régionaux, le premier point à l’ordre du jour concerne la validation des élections. Cette validation doit être votée à la suite d’un rapport, lui-même fourni par une commission de sept membres tirés au sort dans les rangs du Parlement par la main innocente du benjamin de l’assemblée. L’intention supportant cette procédure du tirage au sort de la commission est en elle-même très saine : la validation des élections et l’examen des recours ne devraient pas, dans l’idéal, souffrir des oppositions idéologiques des parlementaires. Si une élection est frauduleuse ou entachée d’irrégularités, c’est par esprit démocratique qu’on s’engage à recompter les voix, pas parce que son parti sera avantagé ou non par une possible rectification de la distribution des sièges.

Seulement… le politicien est une espère vorace et obnubilée par le pouvoir. Commençons par Bruxelles parce que c’est là que la situation a été le plus vite expédiée : la commission de validation comptait 4 PS, 1 Ecolo, 1 cdH et 1 Vlaams Belang (La Libre.be, 10 juin). Elle a écarté, en une heure et quinze minutes, les neuf recours introduits à la suite des élections, et qui concernaient notamment les divers bugs électroniques constatés pendant celles-ci. Son rapport, voté en interne par 5 voix contre 2 – les députés PS et le cdH ont sans aucun doute voté pour, Ecolo et le VB contre – est ensuite passé comme une lettre à la poste devant l’assemblée bruxelloise. Je cite La Libre avec quelques ajouts : « le parlement a adopté ses conclusions par 52 « oui » [c’est à dire, PS, cdH, FDF, OpenVLD, s.pa, CD&V], 9 « non » (Ecolo et Vlaams Belang) et 28 abstentions (MR, Groen, PTB[-PvDA-GO] et N-VA) ».

En Wallonie, la chance ayant moins souri à la future majorité régionale, la composition de la commission de vérification est la suivante : 4 MR, 1 PS, 1 cdH et 1 PP (RTBF.be, 10 juin). Or, plusieurs des députés tirés au sort avaient été élus dans les circonscriptions litigieuses. Après discussions, ceux-ci renoncèrent à siéger pendant les travaux de la commission, donnant une composition finale de 2 MR, 1cdH et 1 PP. Et si la majorité (PS, cdH) aime, comme à Bruxelles, le passage en force, l’opposition (MR) aime l’obstruction. Les quatre parlementaires ne sont pas parvenus, au moment de boucler ce billet, à se mettre d’accord sur l’un des recours, celui du PTB à Charleroi qui espère trouver dans les blancs et les nuls 14 voix lui octroyant deux nouveaux sièges au Parlement – en en faisant perdre mathématiquement un au cdH et un au PS.

Comme je l’indiquais plus haut, la procédure du tirage au sort présuppose que ce sont des individus indépendants et acceptant le principe d’une discussion raisonnée des recours qui vont statuer. À l’inverse, on assiste à une joute politicienne de première importance : le PS et le cdH se complaisent à tout écarter, le MR espère affaiblir, même symboliquement, la nouvelle majorité et le PP splendide de contradictions et d’hypocrisie se range dans le camp du non-recompte par peur de voir les chars de l’Armée Rouge envahir la Citadelle de Namur. Dans les médias, on s’indigne du retard qu’engendre cette situation. Comme le fait remarquer le chien de garde Eric Deffet à propos d’un « blocage qui n’a aucun sens » : « Que ce rapport recommande ou non un recompte des voix, celle-ci [l’assemblée wallonne] agira à sa guise et tout indique que se dégagera une majorité PS-CDH qui déclarera la plainte non recevable. » (Le Soir.be, 12 juin). Oui ! Vous avez bien lu : cette plume effarouchée s’impatiente qu’on assassine – pour la mille et unième fois – l’esprit de la démocratie qui transparaît encore en filigrane dans les procédures parlementaires.

Dans les journaux, les Diables rouges sont à la fête alors que certaines questions restent douloureusement sans réponse : est-il normal que le sort de la démocratie soit resté entre les mains d’experts en informatique tenus au secret et donc incontrôlables par les citoyens 1 ? Pourquoi une Commission indépendante n’a pas été mise en place pour contrôler le déroulement des élections et les recours des parties en présence ? Surtout : peut-on supporter que nos hommes et femmes politiques privilégient la logique de parti sur celle de la bonne foi ? La consigne de vote est une des preuves des plus éclatantes que le parlementarisme est une insulte à l’intelligence et à la vérité.

Ce que démontre ces multiples affairettes, c’est que le pouvoir est corrupteur et ne peut se gonfler d’aucune innocence. Même une procédure particulièrement noble comme le tirage au sort ne parvient pas à contrebalancer le poids des Partis ; ce poids ne résulte aucunement d’une convergence des croyances politiques mais seulement de la peur du bâton : si tu ne respectes pas la ligne de vote tu ne seras pas reconduit aux prochaines élections. Le fauteuil, la stabilité d’une paye conséquente et d’une ligne glorieuse dans son curriculum vitae sont autant de facteurs d’ordre politique interne.

Je conclurai en notant que le grand gagnant de toute cette pagaille pseudo-démocratique n’est autre que… le PTB. Même en refusant son recours, présenté par les rouges avec toutes les pincettes de leur communication douce, le Parlement démontrera que la particratie n’est pas une illusion (ou l’apanage de la folie extrémiste d’un Louis). La disparation complète des défenses programmatiques avec le début des marchandages post-électoraux et les premiers soubresauts de l’affaire Delhaize (La Libre.be, 12 juin ; voir qui plus est le visuel du PTB reproduit ci-dessous) vont venir consolider sa position d’opposition de gauche aux socialistes.

[Modification, 19h00 : la nouvelle vient de tomber, la commission du Parlement wallon demande dans son rapport un recompte « total » des voix à Charleroi (La Libre.be, 12 juin). Les deux MR ont voté pour, le cdH contre et le PP s’est abstenu, débloquant la situation et donnant la majorité au camp du recompte. À charge à l’assemblée d’accepter ou de rejeter ce rapport. Si elle veut conserver un minimum de dignité politique, elle devrait, bien sûr, entériner le recompte des voix.]

Affaire DelhaizeAddendum sur la réaction démocratique à l’arbitraire policière

 

Les faits se déroulent samedi dernier, à 1h du matin. Ambiance de début de week-end sur le Parvis de Saint-Gilles ; une voiture de policiers débarque deux agents pour faire une ronde. Un tagueur a la bonne idée (sans rire !) de s’attaquer à la voiture qui contient encore deux poulets. Une petite course poursuite s’en suit et un événement survient auquel les agents ne s’attendaient absolument pas : le peuple du Parvis s’interpose et gêne les gardiens de l’ordre, permettant au facétieux tagueur de s’enfuir. Le ton monte alors et les policiers décident d’embarquer quelques empêcheurs d’arrêter en rond pour faire bonne mesure. La foule – passants, badauds qui sirotaient leur bière de fin de semaine – huent et renâclent devant l’arrestation brutale d’un des leurs – la fin de la scène est filmée.

L’histoire aurait pu rester une anecdote racontée par des policiers grincheux à leurs collègues ou par des saint-gillois indignés à leurs copains. Mais voilà… la DH a encore frappé avec un article de Stéphanie Ovart magnifiquement intitulé : « Les « bobos » empêchent l’arrestation d’un vandale ». Suit un (très bon) billet du (non moins très bon) journaliste Marcel Sel, « Exclu : la DH, nouvelle agence de com de la police de Bruxelles ! » (ce dernier revient sur les événements avec plus de détails et de talent que moi).

Je ne relèverai qu’une phrase de Stéphanie Ovart, ancienne inspectrice de police précisons-le : « Les terrasses des cafés sont bondées et les policiers veulent s’assurer que tout se déroule dans le calme et la bonne humeur. ». Ah… ces flics qui distribuent des sourires et de la joie de vivre par paquets de vingt ! Bizarrement ce n’est pas le souvenir que m’ont laissé les forces de l’ordre quand j’ai eu la chance de traiter avec elles ! Mais cela révèle un véritable gouffre qui sépare ma conception de la vie et celle de Stéphanie Ovart.

Il me semble que le tagueur, en désacralisant l’autorité, faisait œuvre de moralité publique ! Le monde ne se porterait-il pas mieux sans matraque ? Surtout : qui sont les vrais vandales ? Ceux qui dessinent sur les murs de nos rues ou ceux qui frappent, aspergent de spray au poivre, menottent, chargent, dispersent ? Sont-ils coupables, ceux dont la conviction va à la justice sans uniforme et qu’on taxe « d’obstruction à la justice, rébellion et incitation à l’émeute » ? Qu’elle est pratique cette accusation d’incitation à l’émeute ! Le droit à l’émeute a pourtant fondé notre État social et nos « droits démocratiques ».

L’incivilité est une chose, le culte de la violence soi-disant légitime en est une autre. Je ne vivrai sans doute jamais dans un monde débarrassé de la police et de cette image hantant passé et futur : celle d’une « botte qui écrase la face de l’humanité pour toujours » (1984).

(En entête, Le Soir (Cycle des heures du jour) de Caspar David Friedrich, au alentour de 1821, domaine public ; visuel du PTB, sous copyright.)

Notes:

  1. Je conseille la lecture du site de PourEVA (Pour une Éthique du Vote Automatisé) qui se bat depuis des années pour qu’on reconnaisse les limites éthiques du vote électronique.

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